Puisqu'il faut bien tracer la route

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mercredi 6 janvier 2010

L'ombre au tableau (brouillon)

Il pleuvait. La pluie commençait de lustrer les pavés et de les rendre glissants. Les allées et venues des passants se faisaient moins assurées, les regards avaient cette goutte d'appréhension qui brillait dans leurs yeux. L'horloge de l'hôtel de ville indiquait onze heures vingt-deux et il n'y avait rien à l'horizon. Qui se souvient d'une promesse de dix ans ? Personne. Sauf la pauvre fille qui s'est assise sur les marches, qui s'est allumée une clope, qui passe la main devant sa bouche pour enlever ses boucles rousses qui se glissent dans la commissure de ses lèvres. Elle s'est acheté un béret mauve pour y caser sa chevelure. Un peu le même qu'elle portait dix ans plutôt avec lequel celui qu'elle attend, s'amusait, et s'amusait à lui enlever comme un gamin. Sauf que la gamine, dix ans plus tôt, c'était elle et qu'elle détestait ça. Qu'on la décoiffe, qu'on lui dise qu'elle n'avait pas l'âge de s'amuser comme les grands. Et pourtant. Dix ans plutôt, tout le monde s'était quitté dans un grand éclat de rire pour faire comme si. Comme si de rien n'était, comme les belles choses n'avaient de cesse de renaître tout le temps. Comme si le présent n'avait ni futur, ni passé, que l'on ne pouvait le conjuguer qu'au mode « là, maintenant ».
Cette fille sortit un petit carnet et un stylo. Elle tira sur son gant pour l'enlever et commencer à écrire. Il n'y avait que cela qu'elle sache faire réellement. Prendre un stylo et décrire l'instant. La plupart de ses amis ou amies la prenait pour une allumée, une illuminée qui ne savait qu'incendier par ses mots une situation banale, une impasse de sentiments comme tant d'autres en rencontrent tous les jours, ici, ailleurs ou avant.
Le parvis de l'hôtel de ville a parfois cet air triste, sous la pluie battante. Est-ce que demain a un avenir ? Ou bien n'est-ce qu'une interrogation qu'on lance comme ça, à l'horizon » Le bout du nez gelé et les doigts transis par la froidure du vent, la bille du stylo continuait de s'appliquer sur le grain du papier en une écriture qui n'avait pas perdu la rondeur de l'enfance, celle où l'on s'applique à reproduire la lettre ample et mesurée de la maîtresse d'école. Cette femme qui sent l'ex-jeune fille qui n'a pas connu le printemps. Même sous l'œil de cette petite fille, la floraison avortée ne sait garder son secret jalousement gardé, transmis comme un nuage amer de café laisse sa note au palais, la première fois qu'on se prend pour une grande et qu'on goûte cette boisson dont l'arôme semble receler tant de mystères.
Gabrielle serra des dents comme pour retenir un cri de couleur qui, pourtant, ne venait pas. Hurler dans le désert, c'était ce qu'elle savait faire. Elle savait danser le tango mieux que quiconque, mettre de la couleur entre les lignes de crayon qui esquissaient le contour de ses rêves. Samuel n'était pas venu. Il n'avait pas su respecter l'invisible. Ce qui reste après les tempêtes et les cyclones, ce qui fait que les choses restent un peu belles et qui tiennent le cœur encore un peu au chaud.
Elle resta quelques instants, son nez qui partait un peu en trompette respirant les quelques souvenirs qui partaient en lambeaux d'y avoir cru. Peut-être qu'elle n'avait pas compris, qu'elle n'avait aucune envie de comprendre. Une promesse n'a aucun sens si elle ne mène pas autre part qu'ailleurs, qu'elle ne défit aucune loi de l'attraction universelle. Les contraintes de la gravité, elle, elle s'en foutait. Elle n'attendait aucun salaire au motif de les respecter. Elle n'avait aucune foi en la mathématique, à l'inéluctable. Son théorème n'avait qu'une seule variable. Elle le sentait dans son ventre, comme une lame qui s'enfonce au plus profond de ses entrailles. Et lui que savait-il de tout cela ? Eux. Que savent-ils de cette nature ? Ce n'est pas qu'une question de construction mentale. Ce n'est pas juste qu'une teinte un peu sombre qu'on laisse comme une ombre sur un tableau.
Non, ce n'est pas qu'une simple couche de poussière que l'on balaie du revers de la main. C'est plus compliqué que cela. Ce n'est pas qu'une question de biologie, de physique, ni même de religion. On s'en fiche à cet instant de savoir qui, a mis le ver dans le fruit. On ne peut pas mettre un genou à terre en attendant que la pulpe soit pourrie. On ne se sent pas libéré en laissant juste échapper cette colère, ce dégoût.
Elle aurait pu crier car ce n'était pas l'envie qui lui faisait défaut. Mais crier pourquoi, sur qui ? Qui entendrait quelque chose à cette rage soudaine ?

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