Puisqu'il faut bien tracer la route

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mardi 19 mai 2009

Cinq jours. - Jour 1 (3)

[...]

Ce qui est bien lorsque tu es alcoolique, c'est que personne ne le remarque jamais. Non pas que personne ne le sait. Non pas que personne n'ait vu que tu bois plus que de raison. Mais personne ne veut faire la remarque. Les gens sont pourvues de cette pudeur qui leur fait éviter de dire quelque chose qui pourrait être déplaisant ou négatif. En même temps,est-ce vraiment bien cela le raisonnement ? N'est-ce pas plutôt l'envie de croire que tout cela n'a pas beaucoup d'importance parce que le temps nous manque. On passe tellement de temps à essayer de savoir si l'on peut accorder nos violons qu'au final, on finit par oublier qu'il s'agit seulement de jouer la musique.

La vraie beauté est inaccessible et le fait d'avoir échoué est une victoire en soi. Le fait de n'avoir pas su lui dire qu'elle était celle qui te fallait, le fait de n'avoir plus lui dire qu'avant de tuer ne serait-ce que l'idée d'avoir fusionné qu'il aurait fallu te demander.

Tu n'étais pas celle qu'il me fallait.

Je n'étais pas celui que t'attendais.

C'est tellement plus facile d'assumer nos échecs.

On est beau que quand on est des salauds. Quand on fuit l'idéal pour le garder inaccessible.

« Qu'est-ce que t'as fait ? »

Qu'a-t-elle découvert de ton passé ? A-t-elle su à un moment donné que tu étais condamné ? A-t-elle découvert que tu étais pareil à tes semblables et que la date de péremption était donnée ? Pas question d'être larmoyant. Pas question de mentir. Je suis un être humain.

Alors quand dans un sourire, elle te dit qu'elle est enceinte, c'est le monde qui s'effondre. Quand elle te dit qu'elle ne voulait pas et que la force des choses a décidé. C'est le silence qui reprend sa place.

S'en suivent les mois de merde, de silence gêné. T'étais l'amant, le gêneur, le bout de ciel dans une tragédie que l'on avait déjà joué.

Quand elle t'a pris, elle a juste cru que c'était un jeu. Que c'était pour du beurre. Que t'étais bien plus grand qu'elle, pour ne pas succomber. Pour comprendre l'inaccessible, pour pardonner.

Ce qui est bien quand tu es alcoolique, c'est que personne ne te pose la question. Tout le monde croit à ta déchéance sans vouloir savoir si l'on ne peut l'amender.

Je pourrais écrire des heures sur l'intimité de chaque douleur, de chaque raison, de chaque pensée. Si tu préfères garder les heures où l'été filait à l'anglaise et le manège continuait de tourner, tu as le droit. Tu as le droit de garder tout ça.

« Crois-tu que les choses auraient été différentes sans la mort du bébé ? »

Sam descendit à Opéra. Les gens étaient comparables à ces ombres qu'on imagine quand on n'est pas là, quand on n'est pas réveillé.

[...]

Cinq jours. - Jour 1 (2)

[...]

Des fois, c'est formidable, la vie. Elle n'avait même pas protesté. Pas même insisté. La nuit ne lui avait pas donné assez sûrement ou peut-être lui. Aucun souvenir. Cela avait-il de l'importance ? Sam éluda la question. Sous tous les angles d'attaque, la réponse ne pouvait être que désagréable. Y avait-il tant de mal à se faire du bien ? Malheureusement oui.

Ils partirent ensemble de l'appartement jusqu'à la gare de RER. Lui prit la direction de Paris et elle, celle de la banlieue. Fallait croire que l'air frais du matin leur avait ôté toute espèce de conversation. Quelque part, tant mieux. Aucun des deux ne semblait enclin à balbutier une quelconque explication. Les choses étaient maintenant un fait. Il fallait composer avec.

Sur le quai, Sam se laissa flotter quelques minutes, les yeux fermés, la bouche pâteuse. Il sentait que son haleine était encore alcoolisée. Et pour cause... Il s'était avalé un mélange de vodka et de jus d'orange en guise de petit déj. C'était la seule boisson qui lui restait du carnage de la veille. Il n'avait pas osé prendre un café, arrivé à la gare : ça l'aurait rendu malade.

* * *


Sam s'assit sur le strapontin près de la fenêtre. Mauvais calcul. Il y a trop de soleil. Le temps de s'en rendre compte, c'est trop tard. Dès l'arrêt suivant, on se la joue style sardines en boîte, la lambada du matin que personne n'a envie de danser.

Le trajet du boulot, c'est toujours la même chose. On croise les mêmes gens qui entrent à la même station et qui sortent à la même autre gare, avec la même tête de déterré... Remarque, s'ils ont vécu la même soirée : il y a de quoi. Faut croire que Paris se réveille tous les jours avec une gigantesque gueule de bois.

[...]

Cinq jours. - Jour 1


Ça devait être un matin comme bien d’autres, avec des oiseaux qui chantent et sur le coin de la carte postale, un petit rayon de soleil. Et ce fut un matin comme bien d’autres. La tête lourde des excès alcooliques de la veille, avec le vague souvenir d’avoir pleuré peut-être. D’avoir encore dérapé. On ne se rappelle jamais vraiment de ces choses-là, même si les gens, elles, les retiennent. Samuel se frotta les yeux et les ouvrit avec bien de la peine. Il jeta un œil sur les chiffres lumineux du radio-réveil… Cinq minutes s’étaient écoulées et il n’avait rien vu. Il regarda sur le côté. Il y avait une silhouette enfouie sous le pli des draps. Il aurait dû sourire mais rien ne lui vint. Juste une sensation de dégoût. Juste une sensation de rien.

C’était un peu comme si la chose était imparable. Rien que de l’ordinaire… Rien d’inoubliable. Sa mémoire en avait trop fait, elle ne faisait que régurgiter toutes ses choses de trop. C’était sûrement une bonne fille, un petit cœur, tout ce qu’il y a de plus adorable. Mais contrebalancé par le reste, c’était tout ce qu’il y avait de plus insipide au monde.

Samuel s’extirpa du lit. Il n’était déjà plus là. Il était en train de tisser la toile de son prochain mensonge… Il fallait être gentil. Lui dire que rien n’était de sa faute mais qu’il n’était pas prêt et éviter de parler des raisons pour que ça fasse plus vrai. Eviter de parler des raisons, pour laisser l’option de recommencer et ce, même si c’était laid.

Des justifications. S’il fallait en trouver, il en trouvait. Il n’y avait rien de plus rapide, de plus facile. Aussi facile que de nier ses remords et accepter ses regrets.

Le carrelage était froid et il n’y avait plus de café. Ça n’avait pas d’importance. Il n’y avait aucune raison valable de vouloir se réveiller. En revanche, il y avait un peu de tabac à rouler et du papier à cigarette. A défaut de nourrir, ça avait l’avantage de le tuer sans mot dire.

Il ouvrit la fenêtre et il faisait froid. Ce n’était pas agréable mais ça engourdissait ses idées encore baignées d’alcool.

« Crois-tu que les choses auraient été différentes sans la mort du bébé ? »

La pendule indiquait sept heures et demie. Il était temps de mettre dehors la larve qui roupillait au fond du lit. Il aurait pu la laisser là avec les clés et lui dire de les lui ramener… Mais la revoir, c’était vraiment la dernière des choses dont il avait envie. Il ne savait pas de quoi il avait envie. Mais il savait ce qu’il ne voulait pas. C’était comme ça. Il fallait s’y faire.

Cinq jours. - Prologue

Cinq jours. C’était le temps qu’il restait. Cinq jours. Une éternité. Samuel leva les yeux au ciel et chercha une réponse. Comme si les nuages pouvaient parler. Comme si tout cela pouvait avoir un sens. On ne sait jamais combien de temps dans la réalité. Dans la réalité des gens ordinaires. Cela faisait trois ans que tout s’était passé. Et pourtant. Rien n’avait bougé. Comme si le temps s’était arrêté. Comme les distances, fussent-elles foutues de centaines de kilomètres, comme si les distances n’étaient rien.

La folie n’était pas loin. Elle le guettait. Comment pouvait-il en être autrement ? Comment avait-il pu croire que les choses prendraient un autre tournant ? Il avait retourné chaque seconde, chaque instant, chaque émotion. Il avait compté chaque pas qu’il avait fait, chaque bouteille qu’il avait bue, chaque mot qu’il avait couché sur le papier, faute de mieux. Ses illusions, il ne les connaissait que trop bien. Elles étaient ancrées dans son quotidien, elles faisaient partie de cette normalité.

Cette incroyable banalité qu’on lui avait reprochée. Comment rêver encore à la beauté ? Comment rêver tout court ? Comment dessiner une route différente de celle qu’il avait empruntée ? Le tout des gens est de le croire et cela leur suffit pour garder cet espoir. Cela leur suffit pour imaginer autre chose. Autre chose qu’un cercle.

Le cercle, c’est l’harmonie, il paraît. C’est une folie.


***



« Crois-tu que les choses auraient été différentes sans la mort du bébé ? »

Cela faisait trois ans. En trois années, mille quatre-vingt quinze jours, j’aurais cru que cette question ne pouvait plus avoir d’actualité. Vaine croyance. On a beau entretenir les choses, faire en sorte que la vie suive son court. En fait, il n’en est rien. Les images passent et repassent même celles que tu n’as pas vues. Oh, je sais.

Tu vas dire que tout cela est une pure démence, que tout cela est déraisonnable. Tu as sûrement le droit de penser et le bon sens en fait une vérité. Je le sais bien. J’en suis arrivé à la même conclusion.

Il paraît que le temps ne fait que défiler, qu’on ne le remonte jamais. Il paraît qu’on oublie aussi. Il paraît que le passé est plus joli après. Il paraît. Des fois, je voudrais bien que tout cela soit vrai. Sûrement que tu ne comprends pas tout à fait ce que je te dis, là, à cet instant précis. Peut-être que je ne le comprends pas tout à fait moi-même, d’ailleurs.

Quand j’étais petit, on m’a dit que cette obsession du temps venait du fait que j’avais peur de la mort. Et comme tout « petit », j’avais acquiescé en disant « oui ». Ils avaient sûrement raison, les « grands ». Plus tard, je me suis rendu compte que je n’en avais pas peur. Oui, de la mort. Pour avoir peur de la mort, il faut déjà avoir conscience de la vie, lui donner un sens. S’il ne s’agit que faire que passer, elle est où la finalité ? Que l’on mette un point à cette phrase ou pas, n’a pas de conséquence si le texte auquel elle se rapporte ne signifie rien.

A partir de là, comment voulais-tu que j'ai peur de quoi que ce soit ?

« Crois-tu que les choses auraient été différentes sans la mort du bébé ? »

[...]

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