Puisqu'il faut bien tracer la route

Subscribe to Lettres du Rien (wp) by Email HADOPI - Le Net en France : black-out

mardi 15 septembre 2009

Et l'on ira nulle part, je te le promets. (12 et Fin)

[...]


Je n'ai rien oublié. Tout est gravé là, dans mon sang, dans ma tête, dans mes mains. On ne retouche jamais un corps de la même manière après ça, mais je ne sais même pas pourquoi. Faut-il en tirer quelque chose, une espèce de morale qui ne vaut rien ? Je ne crois pas.

Les semaines se sont écoulées. J'ai continué de survivre avec la promesse de Gabrielle dans la tête : « Bientôt, tu sauras. ». J'ai vécu avec l'espoir niais que rien de tout ça n'était vrai. J'ai couché avec Kytie parce qu'elle me le demandait. J'ai continué à voir d'autres filles parce qu'elles étaient belles et qu'elles réveillaient en moi un souvenir qu'au petit matin, la fraîcheur de l'air évaporait.

« On ira nulle part, je te le promets. »

Cette promesse est aussi belle qu'elle est absurde. Elle pousse vers un absolu qui s'efface, une fois qu'on l'a prononcée. Ces mots esquissaient la silhouette de Gabrielle et tout ce qu'elle était : un vœu pieux, une envie d'ailleurs, une promesse de rien.

On fait l'amour avec des ombres désormais. Pourquoi sauver tout ça, pourquoi garder en soi ce devoir de mémoire ? Peut-être que les grandes gens connaissent la réponse, celles qui savent tout, celles qui ne font rien, celles qui inventent, écrivent sur un futur et oublient au fur et à mesure ce qu'elles ont fait. Je ne suis pas d'elles. Je ne suis qu'un instant comme Gabrielle.


*


Au printemps, un certain Mathieu a laissé un message sur mon répondeur.

« Je ne sais pas qui vous êtes, ni ce que vous étiez pour Gabrielle, mais je voulais juste vous dire que Gabrielle... Est décédée hier aux urgences cérébraux-vasculaires de la Pitié Salpetrière. Peut-être que vous le saviez, ou que vous vous y attendiez, je ne sais pas. La cérémonie d'enterrement aura lieu jeudi au Cimetière du Montparnasse, à 13 heures. Je vous fais le message pour que vous le sachiez, au cas où. Au revoir. »

Au début je n'ai pas compris. Il a fallu que je réécoute une dizaine de fois avant de mettre un sens à chaque mot.

En d'autres circonstances, peut-être que la situation aurait porté à sourire. L'ironie de la vie est toujours froide et sans saveur. Je me suis dit que ce gars malgré tout ce que je pouvais lui reprocher, savait faire les choses. Il avait l'avantage d'avoir su. Moi, je n'ai fait que les réaliser en écoutant son message. Toujours le mauvais rôle, la mauvaise place.

« Bientôt, tu sauras. »

« Tu sais que ça ne durera que le temps que ça doit durer hein ? Y a pas à se faire d'illusion, tu sais ça ? Toi et moi, on ira nulle part, hein ? »

Maintenant que tu le dis. C'est évident oui.

« Je suis égoïste et ça, c'est comme si tu le niais. »

C'était ça, ta définition de l'égoïsme ? Je ne dis pas que ça ne l'était pas un peu mais. Je ne sais pas. De toute façon, je m'en foutais de ça.

Maintenant, on fait comment pour sortir de nos egos, de nos regrets ?


*


Je n'avais pas ma place pour assister à la cérémonie mais, jeudi matin, j'ai décidé d'y aller quand même. Je ne savais pas pourquoi faire, ni comment j'allais me présenter mais parfois, il y a de la place pour un petit parterre d'anonymes. Je ne tenais pas particulièrement à être là car même si c'est un peu ridicule à dire, je n'aime pas ce genre de commémoration. La plupart du temps au silence et au respect requis, viennent polluer le deuil, histoires de famille et autres jalousies. Mais dans ma tête, il y avait comme une exigence à faire ce pèlerinage.

J'ai demandé à Kytie si je pouvais emprunter sa voiture.

« Oui, oui, pas de problème... Ne me la casse pas, c'est tout... Faut que je file, je suis à la bourre au boulot. »

Elle a refermé la porte derrière elle. Je me suis demandé si elle savait. Gabrielle avait démissionné ou plutôt disparu du bar où elle servait quelques semaines plutôt. Personne n'avait semblé savoir pourquoi, personne n'avait réussi non plus à la recontacter. Personne ne semblait plus non plus s'en soucier.

Et moi face à cette perte de mémoire, je ne savais plus me révolter.

Je me suis habillé, j'ai pris les clés et je suis parti.


*


J'ai trouvé une place et me suis garé Boulevard Raspail. Il était à peine dix heures. Je suis rentré dans un bar « Café des Arts » parce qu'il avait un joli nom, je trouvais. Il faisait beau quoiqu'un peu frais. Je regardais les gens aller et venir. J'écoutais le bruit des verres, celui de la pompe et le brouhaha indescriptible des conversations. Il n'y avait rien pour me dire que c'était aujourd'hui une journée triste, une journée où les sourires devaient se fondre et se figer sous une pierre. J'ai pris une bière, puis deux, puis trois, puis quatre, histoire de m'étourdir, de me sentir aller et venir. Ce n'est qu'à ce moment-là que j'ai décidé de me lever et de me diriger vers l'entrée du cimetière.

J'ai remonté le boulevard Edgard Quinet pour atteindre l'entrée principale. J'ai regardé ma montre. Il était presque l'heure et il n'y avait personne. Je me suis donc posté dans un coin et je me suis allumé une cigarette. La vérité était que je ne réalisais pas que j'étais là à attendre de voir passer le convoi et assister à la mise en terre de celle qui, il y avait à peine quelques mois, m'avait ouvert la voie sur une envie qui dormait depuis des années en moi. Comment avait-elle fait ? Etait-ce bien elle, l'élément déclencheur ? Personne ne le saurait jamais. Même pas moi. Ce que je savais, c'était que c'était avec elle qu'était arrivé cela. On ne pouvait rien réécrire, rien y changer. Alors, je lui devais cela. Au moins. Malgré tout le reste, malgré les mensonges par omission, malgré les dégâts irréversibles qui s'étaient gravés dans ma tête.

« Si je veux un bébé, je voudrais qu'il soit de toi. »

C'est ce qu'elle m'avait dit, à deux heures du matin, en plein milieu de la nuit. De près ou de loin, sachant son avenir, je me demandais comment ces mots avaient pu avoir envie de sortir. Sûrement qu'elle voulait continuer de rêver à défaut d'y croire. Et j'étais là adossé à ce mur, fixant le trottoir, je la touchais encore des yeux comme si elle était là. A mes côtés.

Mon ego, mon égoïsme aurait voulu garder d'elle, l'image de la dernière nuit que nous avons passée ensemble. Peut-être aurais-je été plus doux, peut-être me serais-je retenu. Peut-être que j'aurais pu te garder aussi longtemps que son temps l'aurait permis. Peut-être que je n'aurais pas fait le souhait de la voir plus loin qu'une promesse non tenue.

« Si tu demandes au petit génie : ton vœu, il y a des chances qu'il soit exaucé. »

J'en souris encore. Je suis sûr qu'elle le voit.


*


J'ai regardé ma montre à nouveau. Une heure s'était écoulée sans que j'y prête attention. Sûrement que le convoi était passé par une autre entrée. Je n'ai pas insisté. Je suis retourné à la voiture.

C'était un signe. C'était la vie. C'était Gaby qui me l'avait soufflé, qui me l'avait promis. On se dit jamais vraiment adieu, à peine « au revoir » même si le « revoir » coule des jours heureux le temps d'une éternité. Je ne devais pas voir cela, je devais jamais essayer de me recueillir. Gaby, c'était la vie, dans ses joies, dans ses peines, dans l'humeur bruyante de ses non-dits.

Gabrielle, c'était l'anonyme, celle qu'on rencontre et qu'on n'oublie jamais tout à fait. Gaby, on devait faire avec ou jamais n'avoir espéré construire quelque chose qu'elle ne pourrait contempler. Elle figeait le présent sur des photos, sur le vélin d'un Canson pour dire que cela avait été, même si l'instant d'après tout devait s'arrêter.

La tête ravagée, je ne suis pas rentré chez Kytie. J'avais besoin d'air, besoin de me détester. Et j'ai roulé. Je suis sorti de Paris. J'ai pris la Nationale 20 et j'ai roulé encore et encore.

Longjumeau, Montlhéry, Linas, Arpajon... J'ai bifurqué sur une départementale. Et j'ai continué à conduire. Vite. Trop vite, comme pour rattraper le temps qu'on n'a pas eu.

Et puis, il y a eu cette voiture de gendarmerie qui m'a pris en chasse. Il y a eu aussi ce virage mal négocié.

L’ombre des arbres défile de chaque côté. La lune éclaire la nuit d’une lumière blême, maladive. Il y a du vent peut-être car les feuilles mortes volent, tourbillonnent avant de retomber brutalement sur le bitume. Tout est nimbé dans une sorte de ouate asphyxiante.

Je n’entends plus rien. Je ne vois plus rien. Je ne sens plus rien. A peine, les larmes qui glissent le long de mes joues. A peine, les virages, à peine les crissements des pneus tentant tant bien que mal d’accrocher à la route.

Dans le flou de mes pupilles, des flashes bleus commencent à clignoter. Je me rappelle avoir souri. J’entends le chant de sirènes. Ça veut dire que je n’étais pas loin de mon terminus.

Ma tête commence à tourner… Mon corps aussi… Les lumières se mélangent… Les images défilent… A l’envers et à l’endroit…


Aucun commentaire:

Bookmark and Share
 
Creative Commons License
Lettres du Rien by Tilou8897 est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale-Pas de Modification 2.0 France.