Puisqu'il faut bien tracer la route

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samedi 29 août 2009

Et l'on ira nulle part, je te le promets. (5)


[...]


Le marché Bastille est impressionnant de par la variété des choses que l'on peut y acheter et aussi par le monde qui vient s'y promener, parfois même sans rien avoir à dépenser. J'aime beaucoup cela, les marchés pour commencer alors celui-ci ne pouvait que me réjouir. Il m'aurait d'ailleurs davantage réjoui si j'avais eu le sou pour acheter tous les produits qui me faisaient envie. Mais il y avait un obstacle à cela... L'état plutôt vide de mon porte-monnaie. J'aurais pu profiter de l'enthousiasme de Gabrielle et de la frénésie acheteuse qui semblait l'avoir prise du simple fait que je lui indiquais les produits qui me semblaient les plus beaux et les plus opportuns. Mais, comme je lui ai fait remarquer, Gaby ne disposait pas d'un réfrigérateur américain... Disons même que c'était la version mini-bar... Il fallait donc raison garder et faire dans l'alimentaire avec peut-être une petite touche de plus.

"C'est pas très grave de toute manière. Tu n'auras qu'à retourner en courses dans la semaine..."

La phrase aurait pu paraître anodine comme ça mais, en réalité, nous n'avions pas parlé de ça. La vérité était même que nous n'avions parlé de rien. Les choses s'étaient faites ainsi et il n'y avait pas de plan encore réglé qui disait que je resterais chez elle. Je me suis arrêté un instant et Gabrielle, elle, a continué comme si de rien n'était. Les mots semblaient lui être venus comme cela sans aucune espèce d'intention. Je n'ai rien dit. Peut-être aurais-je dû. C'est difficile à expliquer mais si je ne validais pas cette innocence, cette "légèreté de l'être" devrais-je peut-être la nommer, elle m'allait bien pourtant. Elle m'apportait la preuve que je cherchais depuis des années : que les événements d'une vie pouvaient être abordés sans complication, juste vécus pour ce qu'ils sont et non pas, anticipés ou regrettés, dans les deux cas mal appréciés car tiraillés par un désir qui ne s'inscrit jamais dans la réalité présente.

Je n'ai rien dit. Ou peut-être, je ne me souviens pas bien. Peut-être,me suis-je dit que l'on aborderait le sujet plus tard. Là, il faisait beau, cela sentait bon, on pouvait fermer les yeux et se laisser là, à écouter la rumeur du marché et comble de tout, j'étais accompagné de la créature que petit à petit, mais sûrement, je considérais comme la plus belle chose qu'il m'avait été donnée d'effleurer. Point n'était le temps de le saccager.


*


"Tu connais rien de Paris, hein ? Enfin, je veux dire que tu n'as jamais visité ou vécu dans un de ses quartiers ?" m'a demandé Gabrielle sur le chemin du retour.

"Pour être honnête... Non, je ne connais rien, sinon les cartes postales..." ai-je répondu en souriant.

Gabrielle s'est arrêtée brusquement et s'est approchée de moi... Elle m'a dévisagé. D'un seul coup, c'était comme si elle me voyait pour le première fois... Et puis elle me dit :

"Tu sais que tu as une drôle de tête ?"

A cet instant, j'ai dû avoir un passage où mon visage a dû friser le livide. Puis elle s'est mise à rire...

"Mais je t'aime bien... Mon p'tit loup..."

Elle s'est alors blottie dans mes bras qui ne pouvaient correctement l'enlacer à cause des sacs de commission que je portais. Elle tremblait presque. Du moins, il m'a semblé.


*


Nous n'avons pas mangé à la maison, nous sommes partis à pied juste après avoir déposé les courses. Sandwiches préparés rapidement, nous sommes allés du côté de l'Ile Saint-Louis, pour manger assis sur les bords de Seine, sur le Quai d'Anjou. La capitale respire le dimanche et quand il fait beau, c'est agréable.

Gabrielle portait une grande robe qui lui donnait l'air d'une gitane, un petit air d'Esmeralda aux abords de Notre-Dame. C'était amusant. Et puis, elle ne passait pas inaperçue, vêtue ainsi. Les badauds ne pouvaient s'empêcher de la regarder et cela me gênait. Un peu pour moi, un peu pour elle, mais elle paraissait tellement ne pas en faire cas que j'ai fini par me convaincre qu'il me fallait mettre aux oubliettes cette réserve ridicule. Pourquoi avais-je ce réflexe de vouloir interdire à une danseuse de danser ? Etais-je donc si peu enclin à apprécier les choses simples ? Fallait-il donc que je fasse l'obstacle sur un chemin qui en était dépourvu ?

Je pensais à tout cela pendant que nous marchions et que Gabrielle virevoltait de droite et de gauche, m'interrogeant sur ce que j'aimais, ce que je n'aimais pas, sur les choses de la vie, si je croyais à Dieu ou si je jouais au freesbee.

"Et si on allait à Montmartre ?" me demanda-t-elle.

"Pourquoi à Montmartre ?" lui ai-je répondu en souriant.

"Tu as quelque chose à y faire ?"

Gabrielle ne répondit pas. C'était comme si ma question l'avait contrariée.

"Ca t'embête ? T'as pas envie d'y aller ?..."

Je n'aime pas quand "elles" prennent ce ton-là, c'est le signe qu'on aurait mieux fait de se taire. Le bon sens voudrait alors que l'on ne cherche pas à se rattraper mais celui-ci répond bien entendu aux abonnés absents dans ces moments-là.

"Je te demandais cela comme ça... C'est juste que..."

"C'est juste que quoi ?"

"Non rien de précis... Juste je me pose peut-être trop de questions..."

"A propos de qui, de quoi ? T'es pas bien avec moi ?"

J'ai levé les yeux aux ciel. Un réflexe.

"Non, ça n'a rien à voir avec ça... C'est juste que je me disais qu'il devait y avoir une raison... Montmartre n'est pas à la porte d'à côté, il me semble."

Gabrielle m'a jaugé du regard. J'avais l'impression qu'elle me dépouillait de mes dernières barrières auxquelles je tenais, fussent-elles teintées de mauvaise foi.

"On y va." m'a-t-elle dit d'un ton sec après un long silence.

Je n'ai pas insisté et nous nous sommes mis en marche.


*


La vérité ? La vérité, c'est qu'elle voulait aller Place du Tertre, elle voulait un peu plus qu'une photo, elle voulait qu'on se fasse tirer le portrait, tous les deux, ensemble. Ca ressemblait presque à un rite d'initiation, une cérémonie de passage. Sauf qu'elle ne tenait pas à le dire, ni à en dévoiler les raisons.

Comme d'habitude (je dis cela malgré le fait que je n'en sois pas un habitué), la place était remplie de touristes, de flâneurs du dimanche et sûrement d'habitants coutumiers de l'arpentage du quartier. Gabrielle me tirait par le bras et m'a entraîné sur une chaise, puis s'est assise sur mes genoux. L'homme qui nous faisait face, nous a souri, il a sorti ses crayons et une grande feuille de papier.




(à suivre)

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