Puisqu'il faut bien tracer la route

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dimanche 23 août 2009

Et l'on ira nulle part, je te le promets.


L’ombre des arbres défile de chaque côté. La lune éclaire la nuit d’une lumière blême, maladive. Il y a du vent peut-être car les feuilles mortes volent, tourbillonnent avant de retomber brutalement sur le bitume. Tout est nimbé dans une sorte de ouate asphyxiante.

Je n’entends plus rien. Je ne vois plus rien. Je ne sens plus rien. A peine, les larmes qui glissent le long de mes joues. A peine, les virages, à peine les crissements des pneus tentant tant bien que mal d’accrocher à la route.

Dans le flou de mes pupilles, des flashes bleus commencent à clignoter. Je me rappelle avoir souri. J’entends le chant de sirènes. Ça veut dire que je n’étais pas loin de mon terminus.

Ma tête commence à tourner… Mon corps aussi… Les lumières se mélangent… Les images défilent… A l’envers et à l’endroit…

*


Je n'avais rien en poche que je suis arrivé à la capitale. Pas une idée sur ce que j'allais faire demain. J'avais fait ma valise, donné mon congé à ma propriétaire moyennant un dédommagement substantiel, remercier mon patron d'avoir eu l'aimable gentillesse de me verser l'aumône d'un SMIC pour mes semaines de 45 heures, pris mon billet de train pour Paris et j'étais parti. Où allais-je dormir ? Est-ce que les personnes qui me connaissaient s'inquiéteraient ? Aucune de ces questions ne s'était posée dans mon esprit.

J'ai commencé par m'asseoir sur les marches sur le parvis de la Gare de Montparnasse. J'étais un peu perdu, un peu sonné d'avoir voyagé assis sur mon sac entre deux voitures. Il y avait des gens. Des gens partout, qui allaient d'un côté, d'un autre, des enfants qui criaient, des petites amies qui téléphonaient à leurs copains parce qu'ils n'étaient pas là. Ca fourmillait sans qu'il y ait ne serait-ce que l'espoir que ce grouillement s'atténue à un moment ou à un autre.

Et c'est ici, que je l'ai rencontrée la première fois. Je ne l'avais pas vue s'asseoir à mes côtés et ce n'est que quand elle m'a demandé du feu, que j'ai sursauté et que j'ai levé les yeux. Je n'avais jamais vu de créature pareille. Elle n'était pas jolie au premier sens du terme. Elle était sûrement trop petite pour être totalement mince, une poitrine suffisamment invisible pour ne pas entrer dans les canons de l'attirance masculine, des cheveux pas tout à fait blonds, un peu roux, mal lissés, emmêlés retombant lourdement sur des épaules toutes fines. Ses fringues étaient usées mal assorties, un chemisier légèrement brun, trop décolleté, un jean colmaté par de multiples carrés de tissus de récupération.

« Tu fais quoi, ici ? » m'a-t-elle demandé après m'avoir remercié d'un hochement de la tête. « T'as l'air un peu perdu, non ? »

Je n'ai pu m'empêcher d'avoir ce sourire niais qui me trahit souvent quand je me sens découvert.

« Ouais, à vrai dire, je ne sais pas trop ce que je fais ici. Je viens d'arriver... »

« C'est tes bagages ? » m'a-t-elle demandé en plantant son regard sur mon sac.

« Oui. Deux ou trois affaires que j'ai sauvées au passage. »

Elle s'est mise à rire.

« T'es marrant toi... »

Je ne comprenais pas.

« Fais pas cette tête-là... C'est juste que ça se voit que tu sais pas où t'es et que tu ne sais pas où tu vas... T'es pas le premier ni le dernier à débarquer comme ça... »

Elle a détourné son regard un instant et a fouillé dans une de ses poches. Elle en a sorti un bout de papier.

« T'as un stylo ? »

J'ai fouillé dans mon blouson et lui ai tendu un crayon. Elle l'a pris et a griffonné un truc.

« Tiens, prends ça... »

J'ai pris le bout de papier ainsi que le crayon, l'air incrédule.

« T'auras qu'à l'utiliser au besoin... »

J'ai déplié le bout de papier. C'était un numéro de téléphone. Je relevai la tête. La fille avait disparu.




(à suivre)

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